Chapitre VI

Une panne de courant ayant rendu impossible l’ouverture automatique des portes du hangar à véhicules, elles durent être ouvertes à la manivelle. Mais l’importance connue de la mission de Liam assura toute la main-d’œuvre nécessaire ; beaucoup de regards envieux se tournaient vers la place vacante dans l’aviso. Les plans mis au point pour l’évasion de Liam avaient déjà échoué, ce qui indiquait la gravité du sort de la Base 22. Il attendit autant que possible, dans le vain espoir que Jon Rakel pourrait le rejoindre ; mais il était dangereux pour tout le monde de garder les portes du hangar ouvertes au bombardement de l’extérieur, alors il finit par se glisser dans le siège du pilote et commença à examiner les commandes.

Liam était un pilote qualifié sur sa propre planète, mais le tableau de bord, les instruments et les systèmes du vaisseau de construction settienne étaient assez différents pour le faire douter de sa capacité de conduire l’engin correctement. Il ne pouvait non plus compter sur des indications transmises de la Base 22. Ce fut donc avec une certaine appréhension qu’il se résolut à essayer les commandes du moteur et à sortir jusque sur la plate-forme de lancement bétonnée. Il fut surpris de voir que le jour s’était levé. Le spectacle de la campagne qu’il avait vue à son arrivée par la lunette de nuit ressemblait maintenant à un sinistre paysage lunaire criblé de cratères et couvert de terre retournée.

Bien que ce qui restât fût d’une insuffisance précaire, c’était miracle qu’une partie de la plate-forme bétonnée eût survécu. Cependant, le bombardement qui continuait imposait un départ immédiat ; Liam lança l’aviso en avant, le sentit vaciller périlleusement en arrivant au bord d’un cratère puis, contre tout espoir, se soulever au-dessus du sol défoncé et s’élever vers le ciel par ce qui devait être le décollage le plus court jamais enregistré pour un appareil de ce type. Alors qu’il se pointait vers le plafond de nuages, une suite d’énormes explosions secoua tout le terrain. Liam devina que le commando fantôme avait fait sauter la centrale de la Base 22, achevant ainsi la destruction du poste de commandement. Il était si occupé à surveiller les instruments de l’engin inconnu qu’il n’eut pas l’occasion de se retourner pour voir les résultats de la déflagration. Quand il eut bien repéré les commandes automatiques de direction et de profondeur, il était bien au-dessus des nuages et avait perdu toute chance d’assister à la fin des espoirs d’indépendance de Sette.

Le problème immédiat de Liam était de retrouver le chemin du cosmoport de Wanderplas dans le temps le plus court. Si le contre-espionnage terrien avait appris que Jon Rakel s’était trouvé dans la Base 22 lors de sa destruction, il enverrait une force massive d’occupation avant que les organisations de résistance puissent se grouper sous un nouveau commandement. Cela mettrait le cosmoport définitivement hors d’atteinte de Liam. Il estima qu’il n’avait que quelques heures avant que le départ de la planète devienne presque impossible. Durant son vol vers la Base 22, il ne s’était fait qu’une vague idée de la direction et comme l’engin avait approché de la base sous commande automatique, même ses notions de distance pouvaient être fort erronées.

Pendant que l’appareil gagnait de l’altitude, il chercha dans la série de programmes de vols préétablis, sachant que l’un d’eux contiendrait les instructions pour le retour de l’engin à son point de départ. Raisonnablement, du point de vue de Jon Rakel, tous les programmes étaient marqués en code. N’ayant pas ce code ni le temps d’essayer un déchiffrage, Liam fut obligé de renoncer et de chercher par ses propres moyens à localiser le cosmoport. Il découvrit que le poste de communication du tableau de bord couvrait les bandes de navigation des vaisseaux spatiaux et il appela le Starbucket sur la longueur d’ondes de détresse. Euken Tor répondit immédiatement.

« Euken, je suis dans un aéro à environ deux mille kilomètres, sans carte ni indication de cap. Que peux-tu faire pour me guider ?

— Je pourrais allumer le phare spatial, mais ça attirerait trop l’attention sur nous, exposés comme nous le sommes sur les bases. Tout le cosmoport tremble sous les transports terriens qui arrivent. On dirait que la grosse offensive a déjà commencé.

— Ton analyse est exacte. Sette est finie. C’est de notre survie qu’il faut nous occuper maintenant, compris ?

— Vu. Je viens de diriger un gonio sur votre transmission, alors je peux vous donner un cap mais je ne peux pas trianguler pour la distance. Mettez le cap sur le chiffre que je vais vous donner et continuez comme ça jusqu’à ce que je puisse vous capter sur l’écran radar. Une fois que nous vous verrons, nous vous guiderons en clair. Quand vous verrez le cosmoport, atterrissez sur la base la plus rapprochée. Nous serons prêts pour le lancement instantané.

— Tu es fou si tu t’imagines qu’ils vont me laisser survoler leurs bases spatiales.

— Ils auront bien trop à faire pour essayer de maîtriser l’incendie.

— Il y a un incendie dans le cosmoport ?

— Pas encore, mais il y a une citerne de boro-flam dans le secteur réservé qui devrait faire sauter un quart au moins du parc de propergol, si quelqu’un était assez négligent pour balancer un obus de mortier dans la trappe de la canalisation.

— Ne te fais pas tuer, tu entends ? Nous avons besoin d’hommes comme toi. »

Liam programma les données de cap dans l’ordinateur du bord et fut heureux de constater que le nouveau cap différait peu de celui qu’il avait calculé au jugé. Puis il alluma les écrans de recherche et commença à guetter tout engin atmosphérique qui pourrait tenter une interception. La fusée était armée, mais seulement de missiles à combustible chimique et à tête chercheuse, qui ne pourraient rivaliser avec un maraudeur atmosphérique rapide armé de canons à électrons.

Finalement, il n’eut pas besoin d’être guidé en clair par Euken pour la mise en position à l’arrivée. De larges traînées de vapeur, visibles d’une distance considérable, s’étendaient très haut au-dessus du sol, trahissant l’emplacement du cosmoport où une forte concentration de navettes terriennes allaient et venaient continuellement entre le sol et la flotte spatiale sur orbite. Son dernier repère fut l’énorme panache de fumée noire parsemée de hautes flammes, provoqué sans aucun doute par quelqu’un d’assez négligent pour balancer un obus de mortier dans une citerne de boro-flam. C’était un acte de sabotage superbe, car pratiquement tout le stock de propergols chimiques du cosmoport s’était joint à la conflagration.

Liam était en vue du Starbucket avant qu’un trio d’engins atmosphériques d’interception ne plonge du haut du del. Ils avaient été protégés contre son écran radar et ils étaient restés invisibles jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour lui pour entreprendre une manœuvre d’esquive. Sa première idée fut que c’était une des forces de défense de Jon Rakel, et qu’ils reconnaitraient son aéro pour un des leurs. Mais ils effectuèrent une passe de vérification puis virèrent rapidement pour revenir manifestement à l’attaque. Liam ne pouvait plus rien faire pour leur échapper, alors il prit l’initiative et tira une salve de projectiles. Les têtes chercheuses des fusées furent nettement neutralisées par les systèmes électroniques des engins assaillants, et les missiles se déroutèrent et s’abattirent au sol en tournoyant. Liam maintint son aéro sur sa ligne de descente, en priant pour qu’un miracle lui permette d’atterrir à temps, avant que les intercepteurs le cernent.

Les explosions qui secouèrent les cieux quand les trois assaillants se désintégrèrent faillirent être assez violentes pour entraîner la fin de Liam. Heureusement, il réussit à garder le contrôle et, par pure chance, à éviter aussi la masse de débris qui emplit soudain les airs. L’excellent tir qui venait de détruire ses poursuivants ne pouvait venir que de la tourelle secrète implantée à bord du Starbucket. Elle lui avait sauvé la vie mais éventé aussi le masque pacifique du vaisseau-Z ; la rapidité de leur fuite devenait plus critique que jamais.

Il fit un atterrissage pratiquement en catastrophe si près du Starbucket qu’il eut à peine cinq mètres à couvrir pour sauter dans le sas. Des bras solides et anxieux l’empoignèrent pour l’aider. Néanmoins, la seule chose qui le sauva d’un tir croisé, probablement fatal, des armes d’un groupe de navigateurs terriens fut le simple fait que personne n'avait pu analyser la situation à temps ; ils tiraient davantage pour avertir que dans l’intention de tuer. Il restait encore une certaine confusion, et personne ne savait si le petit cargo minable constituait vraiment une menace. Cette incertitude fut soudain dissipée quand le cargo à l’aspect délabré fonça vers l’espace.

Il était concevable qu’au moment précis du lancement du Starbucket, les vaisseaux en orbite ignoraient le bouleversement au sol. Cette situation fut promptement rectifiée cependant, car le petit vaisseau qui s’élevait parmi les lourdes et lentes navettes n’était pas seulement bien identifiable par ses remarquables possibilités, mais enclin aussi à faire sauter hors de l’espace tout autre vaisseau qui s’approcherait trop de sa trajectoire. Equipé d’une puissance antigrav d’une conception extraordinaire, il était capable d’atteindre des taux d’accélération qui auraient écrasé les équipages de vaisseaux ordinaires et il filait vers l’espace comme un javelot lancé par quelque dieu mythique de la guerre.

Il ne pouvait cependant tout faire à sa guise. Les vaisseaux de transport en orbite basse transmettaient leurs observations à ceux du convoi qui patrouillaient au large. Quand le Starbucket eut frayé son chemin à travers l’exosphère ténue entourant Sette, son capitaine était déjà en alerte et attendait. Trois croiseurs stellaires terriens, possédant chacun le plus formidable armement disponible, couvraient les multiples routes d’évasion prévisibles, dont l’une devrait être empruntée par le petit vaisseau s’il tentait de passer. L’armement automatique était programmé afin de réduire les chances de fuite du cargo à un zéro statistique. Pour multiplier cette certitude, les Terriens activèrent de plus d’importants champs de mines spatiales pour couvrir les routes moins probables d’évasion, et attendirent avec une assurance motivée la destruction du vaisseau fugitif ou l’avortement de sa tentative de fuite et sa reddition.

Un facteur avait été négligé, cependant, parce que leurs ordinateurs n’avaient jamais été programmés pour envisager cette possibilité : quoiqu’il fût à peine sorti du champ gravifique de Sette, le taux d’accélération folle du petit vaisseau avait mis la vitesse d’entrée dans l’espace-tachyon à sa portée bien avant qu’il se heurte au réseau mortel des vaisseaux du convoi. Prenant tout juste le temps de tirer une salve de missiles à tête chercheuse sur ceux qui comptaient le détruire, le Starbucket bondit dans l’espace-tachyon par une séparation plus proche de l’interférence planétaire que les théoriciens terriens n’auraient crue possible.

Ne faisant soudain plus qu’un avec les étranges particules de l’anti-espace-temps, le Starbucket fonça à une vitesse dépassant plusieurs fois celle de la lumière et, malgré tous les instruments perfectionnés du convoi de vaisseaux, son passage ne laissa pas la moindre trace sur leurs appareils. Liam Liam s’était échappé…

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